A lire en écoutant : Grand champion international de course, Les Trois Accords
Je me rappelle très bien la première fois que je suis allé courir après mon inscription au marathon de Montréal. C'était au mois d'avril, à Bordeaux. Au bout de 23 mètres, j'ai commencé à sérieusement flipper. Je me sentais déjà épuisé à l'idée de m'entraîner pour faire 42 bornes de course, sachant que je n'avais jamais couru plus d'une heure.
C'est ce moment-là (ainsi qu'aux premiers entraînements laborieux sur un chemin de halage à Mont-de-Marsan) qui m'est revenu en mémoire quand j'ai franchi la ligne, après 3h50 à faire claquer mes talons sur le bitume. Puis j'ai posé mes mains sur ma tête, avant de sentir mes glandes lacrymales tenter de se mettre en marche (la chaleur ayant privé mon corps de la moindre goute d'eau, j'ai ainsi pu éviter l'humiliation de fondre en larmes sous les objectifs des photographes de l'organisation). Non seulement j'avais atteint mes objectifs, à savoir finir en moins de 4 heures sans marcher une seule fois, mais en plus je m'étais amusé comme un gosse pendant (quasiment) toute la course. Extraits.
Synchronisation des montres à quelques secondes du départ (Laurent, tu devrais te concentrer un peu !).
Km 0. Tout était réuni pour que la journée soit belle. Un soleil radieux, des copains anxieux, un décor délicieux et une ambiance de feu. Mais aussi un gel énergétique factieux. En effet, 200 mètres après le départ, l'un des deux gels que j'avais accrochés à ma ceinture a décidé qu'il en avait vu assez. Désorienté par sa perte, je me retournais pour le récupérer. Mauvaise idée. Environ 10000 personnes me fonçaient littéralement dessus, l'une d'elles courant inévitablement sur mon gel à la mandarine. Je me tournais vers Laurent, un ami qui participait aussi à son premier marathon. Un ami comme on n'en compte peu autour de soi, et qui sait toujours trouver les mots dans les moments difficile : "Bah, te reste plus qu'un gel, mais 42 km..."
Km 9. Je me sens bien. Surtout que je me permets de doubler, que dis-je, de laisser sur place un jeune retraité de la NHL (la ligue nord-américaine de hockey), qui a gagné des millions dans sa carrière, notamment à Montréal. Il faut dire qu'il pèse dans les 150 kilos. Georges Laraque, c'est son nom, finira en 6h10, bien loin derrière moi (ne boudons pas notre plaisir).
Km 15. C'est plutôt une bonne idée. Tout le long du parcours, comme cela se fait dans de nombreux marathons, des groupes de rock sont là pour aider tout un chacun à se surpasser. Ou pas. Deux fois, j'ai couru au son de la chanson "Highway to hell". Avouez qu'il y a mieux lorsqu'on est dans les tous premiers instants d'un marathon, où la température avoisine les 30 degrés.
Km 19. "Tout ça pour une banane". Le public, survolté pour pousser les petits flemmards du semi-marathon qui touchaient au but, rivalisait d'imagination avec des pancartes plutôt bien senties. Pendant 2 km, c'était un peu la folie, les gens criaient, et moi, je levais les mains pour haranguer la foule. J'étais bien, réglé comme un coucou, sur mes temps de passages griffonnés dans la paume de ma main gauche, pour finir en 3h45.
Km 25. Les premières pensées négatives commencent à faire des petites incursions dans ma tête. "J'ai le genou qui commence à couiner, j'ai soif..." Un coureur allongé sur le trottoir, un linge humide sur le front et entouré de quelques soigneurs, ne fait rien pour me rassurer. D'autant plus qu'il y a moins de monde, et les "Sébastien, t'es capable !" (pratique le nom sur le dossard) d'illustres inconnus se font rare. Et cette pancarte, clouée à un érable, avec personne autour : "N'oublie pas que t'as payé pour être ici ! lol". Dur. Mais je suis toujours content d'être là, je suis dans les temps, tout va bien.
Km 30. Les jambes sont toujours sur le même rythme, mais la tête commence à vaciller légèrement. Comme j'avais déjà utilisé le joker "aide du public", seul "l'appel à un ami" pouvait me sauver. La chance était de mon côté, c'est le moment qu'a choisi Pauline, une amie française, pour me repérer. En tenue, elle m'a accompagné pendant presque 10 km. On a discuté un peu (enfin, surtout elle) mais son soutien précieux m'a permis de repousser encore un peu plus les limites. Les seuls mots que je prononçais, entre le 35e et le 39e, étant : "ça commence à devenir dur..."
Km 39. Les quelques verres de vin blanc qu'elle avait bus la veille ont eu raison de Pauline, qui finissait alors sa mission. J'accélérais un peu après le dernier ravitaillement, dans cette interminable ligne droite qui menait au 41e km. En fait, j'accélérais 200 mètres puis je craquais petit à petit. Plus possible de tenir le 3h45...
Km 42. Dans la dernière ligne droite menant à l'arrivée, au parc Lafontaine, les spectateurs partageaient nos souffrances. Mais le sourire était de retour sur mon visage, j'avais même la force de relancer, puis de sprinter dans les 150 derniers mètres. Le speaker annonçait mon nom, le public hurlait, je levais les bras, savourant ces derniers instants, avec l'impression de décrocher une médaille olympique. On a beau n'être qu'un anonyme au milieu des 4600 autres marathoniens, on se sent à ce moment là comme le héros du jour.
Merci à Marc et Laurent, dont je tairais les temps par respect pour leurs efforts, d'avoir traverser l'Atlantique pour vivre tout cela avec moi. On n'a pas gagné des millions, mais on a tous fini. J'ai déjà hâte à notre prochaine idée à la con !
Je ne peux pas acheter de ce poulet, il me faut des produits bio."