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1 octobre 2015 4 01 /10 /octobre /2015 02:12

A lire en écoutant : We already exist, Gold Lake

Quand tu serres la main du portier d'un bar que tu ne connaissais pas il y a trois jours, il est temps de partir. Surtout quand il te reste des dizaines de milliers de kilomètres à parcourir avant de rentrer à la maison, fin novembre. Après un week-end à Seattle (ou plutôt un week-end accoudés au comptoir du Diller Room, en centre-ville), il était temps de mettre le cap à l'Est, pour la première fois du voyage. Avec un petit pincement au moment de voir le Pacifique s'éloigner dans le rétro.

J'aurais bien versé une larme, mais j'étais trop excité par la semaine qui s'annonçait. Au menu, les 20000 km du camion, le centième jour de voyage de Laurent, mon trente-troisième anniversaire et une ribambelle de parcs nationaux. Missoula, aussi, cette ville mythique de la littérature américaine, qu'il était hors de question de rater. La première soirée dans Glacier National Park, au bord du lac McDonald, m'a fait bondir de joie avec autant d'exubérance qu'à 8 ans avant une émission spéciale du Club Dorothée. Prometteur.

Ceci n'est pas une image fournie par Windows mais bien une photo de notre première nuit à Glacier.

Ceci n'est pas une image fournie par Windows mais bien une photo de notre première nuit à Glacier.

Il a fallu descendre de mon petit nuage dès le lendemain matin. Quelques heures après avoir brillamment atteint les 20 000 km, notre roulotte a décidé de gâcher la fête. Coincé sur le parking du parc, j'ai vu ma deuxième dépanneuse du voyage s'approcher. Rien de bien effrayant quand on a déjà défié les lois de la gravité sur une autoroute de Pennsylvanie. Pas question de se laisser abattre par un simple problème mécanique, même s'il nous a obligés à célébrer mon anniversaire entre un garage et une laverie, à Kalispell, dans le Montana (comme je suis sympa avec les petits jeunes qui essaient de se lancer dans le métier, je te glisse un lien où tu pourras en apprendre plus sur ces événements).

Toujours prêt à se confronter à un grizzly, Laurent aime partir devant en randonnée.

Toujours prêt à se confronter à un grizzly, Laurent aime partir devant en randonnée.

Du rouge, du jaune, du bleu turquoise, du vert, du orange, du mauve, du gris, du marron... La gay pride ? Non. La tapisserie de ma chambre d'enfant des années 80 ? Toujours pas (enfin si, mais bon, c'est pas le sujet). Juste une balade dans Glacier à la fin du mois de septembre. Au bout de 100 mètres, t'as oublié que t'avais perdu deux jours et passé le budget de trois soirées dans un démarreur neuf. Tiens, puis comme c'est pas assez pour un trente-troisième anniversaire, ajoute un grizzly là-dessus. Ouais, on a pu observer tranquillement un griz, à distance respectable, en train de faire ses réserves pour l'hiver. Magique (je t'épargne la photo, où il est aussi visible qu'une trace d'intelligence chez Nadine Morano). Le plus beau moment de la semaine, je pensais. Mais ça, c'était avant le brame.

Heureusement que j'ai pensé à saisir l'essence de l'Amérique à Missoula, sinon il ne me resterait pas beaucoup d'images de la ville.

Heureusement que j'ai pensé à saisir l'essence de l'Amérique à Missoula, sinon il ne me resterait pas beaucoup d'images de la ville.

Avec deux jours de retard sur notre plan initial, nous avons finalement atterri à Missoula (prononcez Mizoula) samedi dernier. Avec un anniversaire à fêter, une bonne raison pour voir si on avait le niveau pour prendre une cuite avec les fermiers du coin et autres supporters de l'équipe universitaire de football américain. La réponse : non. Malgré notre entraînement intensif de la semaine précédente à Seattle, on a eu du mal à passer la case resto. La suite restera dans la légende, comme aucun de nous deux n'est capable de retracer le scénario. On a fini, chacun de notre côté et à des heures différentes, par retrouver la trace de notre motel. On se rappellera longtemps de cette nuit dont on ne se souvient de rien. Le moment le plus fou de la semaine, je croyais. Mais ça, c'était avant le brame.

Sans les 134 575 touristes alentour, on se serait cru dans "Into the wild".

Sans les 134 575 touristes alentour, on se serait cru dans "Into the wild".

Des tas de gens l'avaient sans doute pointé depuis des lunes sur leur calendrier. Nous, on l'avait vaguement appris trois jours avant, mais nos problèmes mécaniques passaient en premier. Dimanche, une éclipse de lune a régalé la planète. Nous, on avait juste en tête d'aller passer la nuit dans le Yellowstone (trois mois après notre première visite) avant de prendre la route de Grand Teton le lendemain. On pénétrait tout juste dans le parc quand la lune, gonflée comme un ballon de volley, a émergé de la cime des arbres. On ne devait pas traîner pour s'assurer une place dans un camping, mais nous avons pris le temps de nous arrêter sur le bord de la route pour savourer l'instant (un peu de romantisme au milieu de toutes ces cuites, ça ne fait pas de mal). Durant ces quatre ou cinq minutes, par un incroyable hasard, aucune voiture n'est passée. Puis un bruit étrange est monté de la forêt. Après quelques vocalises, ça ressemblait à la fête d'anniversaire d'un enfant de cinq ans. Un gars nous a appris quelques heures plus tard qu'il s'agissait certainement du brame d'un cerf.

Bon, j'en sais absolument rien, et quelle importance ? Ce que je sais, c'est qu'un animal sauvage s'amusait avec mes oreilles pendant que la lune s'occupait de mes yeux. Tout cela en plein Yellowstone. A notre arrivée au camping, la lune nous souhaitait bonne nuit en mode orange sanguine. J'ai rêvé des tonnes de fois de croiser un grizzly, de pénétrer dans une librairie de Missoula avant de me pinter avec les locaux, d'arroser mon anniversaire dans le Montana. Jamais de vivre une soirée pareille.

En ce moment précis, alors que je regarde les cumulus, le ciel bleu, les branches des aulnes encore nues mais déjà chargées d'oiseux qui gazouillent, pépient, chantent et s'accouplent, et comme un vent tiède se déverse sur le marais qui dégèle, je suis à un fil d'araignée de l'euphorie complète. Alors que j'avance en âge, il faut me pardonner si j'essaie de l'empêcher de se rompre et de me lâcher comme un ballon qui s'envolerait vers cette euphorie. A la place, je m'efforce de demeurer dans des zones plus basses mais plus équilibrées, tant j'ai appris à craindre les inévitables et nécessaires retombées qui suivent les envols euphoriques, suivant la loi naturelle des pertes et profits.

Rick Bass, Le journal des cinq saisons

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commentaires

L
T'es sûr que ce fameux brame n'était pas l’œuvre d'un couple d'américain fana du Wendy's (genre baconator midi et soir) qui étaient en train de s'accoupler dans la nature? Le doute n'est-il pas permit à l'heure actuelle?<br /> Sinon, sur ma liste de "raisons pour visiter les staïtes", ta seconde photo se place pile entre ce fameux baconator et la possibilité de rencontrer Jennifer Lawrence au détour d'une rue de LA...
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